DAESH ou le casse-tête oriental

Si l’objectif des grandes puissances est de détruire Daesh, le premier Etat terroriste de l’Univers, il va leur falloir s’accommoder du maintien au pouvoir de Bachar El-Assad, en lequel elles voient le diable à quatre cornes. Telle est, en substance, l’analyse développée par Me Cheick Oumar Konaré, avocat à la Cour et observateur politique.

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D’après une légende antique, le timon du char de Midas, roi de Phrygie, était lié par un nœud: quiconque, aux dires des oracles, parvenait à défaire ce noeud se rendrait maître de l’Asie. Après avoir conquis de haute lutte la Perse (actuel Iran) en 333 avant Jésus Christ, le preux souverain macédonien, Alexandre le Grand, tenta de défaire le fameux nœud; ne pouvant trouver une extrémité pour le dénouer, il le trancha d’un coup d’épée. “Peu importe la manière, mais je l’ai défait, ce noeud!”, s’exclama-t-il avant de quitter Gordian, la capitale de la Prygie, puis de se rendre effectivement maître de l’Asie. Depuis, en référence à Gordian et à Alexandre, on dit d’un homme qui  résout un problème de manière brutale et radicale qu’il a tranché  le “noeud gordien”. Comme Alexandre, l’Amérique et ses alliés européens rêvent de liquider Daesh d’un coup d’épée, mais il y a loin de la coupe aux lèvres…

Daesh, l’enfant de l’Occident

Fondé le 13 octobre 2006 par des dissidents d’Al-Qaida, Daesh ou État Islamique en Irak et au Levant (EIIL)est une créature de l’Occident qui, à travers ce groupe armé sunnite, entendait destabiliser les régimes chiites de la région, notamment l’Iran des mollahs et la Syrie de Bachar El-Assad. Les premiers bailleurs de fonds de Daesh ? L’Arabie Saoudite, le Qatar et le Koweit, trois pays qui ne refusent absolument rien aux Etats-Unis. En un tournemain, Abou Bakr Al-Baghdadi, à la tête de ses 31. 000 combattants (estimations de la CIA), incluant d’anciens officiers de Saddam Hussein, profite vite de la faiblesse des armées locales pour s’emparer, au prix de millions de morts et de refugiés, de la moitié du territoire syrien et du tiers du territoire irakien. Les ressources deDaesh sont infinies. Non seulement il exploite les raffineries pétrolières présentes sur son territoire, mais en outre, il soumet à la dîme les 10 millions de personnes qui y vivent. Sans compter les trafics d’armes, de tabac, d’alcool, d’antiquités, de femmes, d’otages, d’organes humains et de faux billets. Cérise sur le gâteau, Daesh prélève de substantiels droits de passage sur les véhicules de transport en partance ou en provenance d’Irak ou de Syrie. Avec un patrimoine de 2.260 milliards d’euros et un budget de 2,5 milliards d’euros pour l’année 2015 (chiffres révélés par Jean-Charles Brisard, président du Centre d’Analyse du Terrorisme), le “Califat” proclamé, le 29 mai 2014,  par Al-Baghdadi devient à la fois le premier Etat terroriste du monde et le groupe criminel le plus riche de tous les temps. On comprend que dans le dessein de s’émanciper, le monstre n’hésite pas plus longtemps à mordre les mains qui l’ont nourri.

Daesh divorce d’avec ses parrains

Daesh commence par annoncer sa volonté de réduire en cendres les Etats “mécréants”d’Amérique et d’Europe et d’envahir leurs alliés traditionnels, les pétro-monarchies du Golfe. Sachant qu’Al-Baghdadi n’est pas un farceur atavique,  l’Arabie Saoudite entame, dès septembre 2014, la construction d’une muraille de  950 km le long de sa frontière avec l’Irak. Le chantier s’intensifie à partir du 5 janvier 2015, quand Daesh attaque le poste-frontière saoudien de Suweif,  tuant le général Oudah Al-Belawi. La muraille, gigantesque ceinture de sécurité, sera équipée de tours de surveillance  et de 50 radars capables de déceler tout mouvement d’engins ou de piétons à 18 km. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, le royaume  wahhabite se lance dans l’érection d’un autre mur, de 1.800 km celui-là, à la frontière avec le Yémen. Trois sûretés valant mieux que deux, il place Daesh sur la liste des organisations terroristes, menace de 30 ans de prison quiconque collabore avec lui et, sur la foi d’une fatwa de son Grand Mufti, Abdel Aziz Al-Cheikh, déclare Daesh “pire ennemi de l’islam”.

Si Daesh n’a pas encore mis à exécution sa menace d’annexer Médine et La Mecque, il n’en assène pas moins des coups terribles à ses adversaires:  France (attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, à Paris: 137 morts); Russie (explosion d’un avion de ligne: 224 morts); Liban (44 morts en octobre 2015); Turquie (34 morts à Suruz en juillet 2015 et 102 morts à Ankara le 10 octobre 2015). Tétanisée, la petite Belgique, transformée à son insu en quartier général par Daesh, a perdu le sommeil depuis une semaine, fermant à double tour marchés, métros  écoles et administrations!

Comment détruire Daesh ?

A présent, toutes les puissances de l’Univers s’entendent sur la nécessité, que dis-je ?, l’urgence de liquider Daesh. Dans un touchant concert, Obama, Poutine, Hollande et Cameron promettent d’éradiquer le groupe terroriste. Sur les instances de la France, le Conseil de Sécurité de l’ONU a, le 20 novembre 2015, adopté à l’unanimité une résolution  qualifiant Daesh de “menace mondiale et sans précédent contre la paix et la sécurité internationales” et appelant à “combattre par tous les moyens cette menace”. L’objectif est parfaitement clair: il reste à l’atteindre.

Les bombardements aériens suffiront-ils à vaincre Daesh ? Depuis août 2014, une coalition anti-Daesh est conduite par les Etats-Unis. Elle compte 22 pays dont l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, l’Australie, Bahreïn, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, les Émirats Arabes Unis, la France, la Jordanie, le Maroc, les Pays-Bas, le Portugal, le Qatar, le Royaume-Uni et la Turquie. Selon les experts, les montagnes de bombes que lâche la coalition n’arriveront jamais à bout du groupe terroriste qui, après avoir bunkérisé ses états-majors et ses matériels sensibles, ne cesse, malgré le déluge de bombes, d’agrandir son territoire et de multiplier les attentats à mille lieues de ses fiefs. Or, échaudés par leurs échecs en Irak et en Afghanistan et peu désireux d’affronter le coût politique lié aux dizaines de morts que ne manquera pas de provoquer une intervention terrestre, les Etats Unis et leurs alliés excluent de déployer de troupes au sol, se contentant de forces spéciales incapables d’engager des batailles frontales ou d’occuper un terrain libéré. On voit d’ailleurs mal le président américain, Barack Obama, en toute fin de mandat, prendre le risque d’une offensive terrestre alors que l’essentiel de son oeuvre a consisté à mettre le holà aux guerres initiées par son prédecesseur, le très belliqueux Bush dont le slogan était de“terroriser les terroristes”. Faute de troupes terrestres, la guerre contre Daesh s’enlise, aux dépens des populations civiles qui, entre septembre 2014 et juin 2015, ont perdu 354 éléments, à en croire le rapport publié le 3 août 2015 par Airwars, un collectif de journalistes occidentaux.

Faut-il, dès lors, offrir une couverture aérienne à l’armée de terre irakienne ? Cette solution, déjà appliquée depuis des mois, produit de piètres résultats. Malgré le soutien de l’aviation alliée, l’armée irakienne a connu, en juin 2014 à Mossoul, une déculottée à la faveur de laquelle Daesh a effectué, selon le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, des prises de guerre impressionnantes: 3.000 4×4 Hummer américains, 60.000 armes individuelles, 50 chars et 150 blindés légers. Désastre en partie confirmé par Haider Al-Abadi, le Premier Ministre irakien, dans un entretien diffusé, le 31 mai 2015, par la chaîne publique Iraqiya:“Lors de la chute de Mossoul, nous avons perdu de nombreuses armes… Nous avons perdu 2.300 Humvee. Ces véhicules faisaient partie d’un lot de 8.000 exemplaires fournis par l’armée américaine en 2009”. Ce que le Premier Ministre se garde de préciser, c’est que la valeur des armements saisis par Daesh dépasse le milliard de dollars !

Les peshmergas kurdes feraient-ils mieux que l’armée irakienne? Les combattants kurdes d’Irak, aguerris par les longues décennies de lutte contre Saddam Hussein, sont bien meilleurs au combat que les soldats irakiens. Après avoir brisé, en 2014, le siège de Kobane grâce au soutien aérien allié, ils ont infligé, courant novembre 2015, de cinglantes défaites à Daesh. Mostafa Seid Qadr, un de leurs chefs militaires, révèle qu’il y a dix jours, ils ont repris la ville irakienne de Sinjar et capturé, dans la foulée, 300 terroristes. “Nos troupes contrôlent désormais les routes reliant la Syrie et l’Irak utilisées par Daesh, le privant ainsi de munitions et de soutien militaire”, confie l’officier à la presse. Problème: la montée en puissance despershmergas fait suer sang et eau à la Turquie. Cette puissance régionale, membre de la coalition internationale et de l’OTAN, craint que les prouesses militaires des Kurdes irakiens ne renforcent peu ou prou le PKK, parti indépendantiste kurde qui, depuis 1984, croise le fer avec l’Etat turc. La guerre d’indépendance engagée par le PKK contre la Turquie a fait, en 30 ans, 40.000 morts. La fragilisation du monde kurde reste donc, pour la Turquie, un objectif plus prioritaire que la lutte contre Daesh. D’autant que le PYD, parti kurde de Syrie, très lié au PKK, a, en juillet 2012, négocié avec Bachar Al-Assad son désengagement du conflit syrien moyennant l’autonomie de trois enclaves kurdes situées à la frontière turque. Pour tout compliquer, le soutien que Daesh offre, depuis 2011, aux rebelles “jihadistes” de Syrie,  distrait le PKK du front turc au profit d’une mobilisation générale  contre Daesh. Ce qui, on le devine, refroidit passablement les ardeurs anti-Daesh d’Ankara. Alors question: en abattant, il y a une semaine, un bombardier russe, Ankara tente-t-il de saboter la guerre internationale contre Daesh? Faut-il tenir pour calomnieuses les accusations du président russe selon lesquelles Ankara achèterait à vil prix le pétrole de contrebande exporté par le groupe terroriste ? Enfin, pourquoi Ankara a-t-il précipitamment jeté en prison pour“espionnage” et “divulgation de secrets d’Etat” des journalistes turcs qui ont révélé que la Turquie livrait du matériel militaire à des groupes “jihadistes” syriens proches de Daesh?

La coalition alliée devrait-elle prendre appui sur l’Armée Syrienne Libre ? L’ARS était la principale force opposée à Bachar El-Assad au début de la guerre civile syrienne, avant d’être surpassée par les factions “jihadistes” proches de Daesh. Commandée par d’anciens officiers syriens, l’ARS se prévaut d’un programme démocratique. Du fait qu’elle représente une alternative au régime syrien et aux brigades salafistes, elle reçoit depuis quatre ans l’aide politique, matérielle et financière occidentale. Le hic, c’est que cette troupe de 80. 000 hommes, dont une bonne part de civils, dotée d’un équipement plutôt sommaire a déjà assez à faire avec les soldats de Bachar El-Assad, soutenus par le redoutable Hezbollah libanais. Depuis des semaines, elle subit aussi des bombardements quotidiens de l’aviation russe, Moscou ayant résolu de mettre en échec le plan euro-américain de faire chuter le régime syrien.

Les alliés convaincront-ils la Russie de les rejoindre ? Depuis les attentats commis, le 13 novembre 2015, par Daesh à Paris, François Hollande fait les yeux doux au président Poutine afin qu’il rejoigne la coalition arabo-occidentale dirigée par les Etats-Unis. Mais Poutine est un sacré client! D’abord, il faudra, pour l’amadouer, renoncer à renverser son ami Bachar El-Assad, ce qui revient à sacrifier l’ARS. Ensuite, il faudra songer à lever les sanctions que lui impose l’Occident à cause de l’annexion de la Crimée.Enfin, Poutine pourrait exiger du duo américano-saoudien d’arrêter la stratégie de surproduction pétrolière visant à affaiblir l’économie russe. En un mot, Poutine, cet ancien du KGB qui, alternant la ruse et la force, rêve de recréer une mini-URSS, pourrait vouloir monnayer son soutien à la coalition contre sa réadmission à la table des grands, une table dont ses rivaux euro-américains inclinent à le chasser.

Bachar boit du petit lait

On le voit, la lutte contre Daesh est en train de tourner en faveur du régime syrien. Tant qu’une solution politique n’aura pas été trouvée au conflit syrien (et il n’y en aura aucune qui n’inclurait pas le maintien de Bachar au pouvoir), Daesh aura encore de beaux jours devant lui car le monde ne parviendra pas à s’unir ni à déployer des forces terrestres contre lui. En vérité, la coalition anti-Daesh que la France s’active à fonder depuis le 13 novembre existe déjà; cependant, elle ne se renforcera du soutien russe, syrien ou iranien, que lorsque l’Occident aura ôté Bachar de la palette des blocages pour le réadmettre dans la gamme des solutions. Certes, François Hollande a suivi le conseil de son rival, Nicolas Sarkozy, de réduire son hostilité envers Moscou et Bachar, mais sera-t-il entendu par Obama, le patron des alliés, qui n’a pas forcément envie d’abandonner à leur sort les “démocrates” de l’ARS ? En attendant que l’Occident, à l’aide d’un nouveau miroir géopolitique, cesse de voir en lui le diable à quatre cornes, Bachar El-Assad boit du petit lait.

Quid de l’Iran ? Sans le crier sur les toits, l’Iran a tout récemment dépêché 15. 000 hommes en Syrie au prétexte  de contenir Daesh. Ce beau prétexte ne saurait occulter le fait que le pays des ayatollahs chiites est un allié de Bachar El-Assad, lui aussi chiite. Pas sûr que les 15. 000 soldats régentés par le général Qasem Soleimani, commandant de la force d’élite iranienne “Al-Qods”, laisseront le chef de l’Etat syrien à la merci du “Grand Satan” américain et de ses amis !

 

En tout état de cause, s’il arrive que, par miracle, l’Occident se sorte de ce bourbier, il refléchira à deux fois avant de fondre, tel un vautour du désert, sur le premier “tyran” venu. Comme frappés de signe indien, les Occidentaux n’ont-ils pas créé Oussama Ben Laden pour hériter d’Al-Qaida ? N’ont-ils pas renversé Mouammar Khaddafi pour livrer la Libye au chaos? N’ont-ils pas pendu Saddam Hussein pour donner naissance à Daesh ?

Source: Le Procès Verbal

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