Marché de peaux et cuirs : LES TEMPS SONT DURS POUR LES ARTISANS

Coincés entre une matière première qui a renchéri et une clientèle qui a rétréci, les travailleurs du cuir ont perdu le moral

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L’environnement humain y est des plus disparates. A côté des menuisiers, l’on trouve des étalagistes qui proposent arachides et colas, des vendeurs ambulants de sachets d’eau et les tenanciers de petites gargotes à café. Il règne ici un désordre qui semble délibéré et qui jure avec la destination de ces lieux. Officiellement – une plaque est là pour en attester- nous nous trouvons à « la maison des artisans et (à) l’atelier des sculptures ». L’une des activités qui y figure parmi les plus pratiquées est le travail du cuir pour la confection de plusieurs articles. La cordonnerie et la maroquinerie proposent leurs produits qui cohabitent avec les habits et les colliers en cuir. A côté des artisans se sont installés des revendeurs de peaux d’ovins et de caprins et de cuirs de bovins.
Inutile de se livrer à un sondage détaillé pour diagnostiquer l’état d’esprit qui prédomine. Les temps sont durs pour ces spécialistes des peaux et cuirs. Leur récrimination porte sur la cherté et la non disponibilité de la matière première. « Nous travaillons la peau, mais nous n’arrivons plus à vivre de notre métier. La peau non tannée coûte cher. Nous achetions la grande peau avec les entreprises spécialisées dans l’exportation du cuir et qui nous cédaient les peaux impropres à la consommation extérieure ou encore à Bagadadji où les paysans viennent proposer leurs produits. Cette peau nous coûtait 1 500 Fcfa. Aujourd’hui, il nous faut débourser 2 000 Fcfa ou 2 500 Fcfa. Quant à la petite peau, elle se vend maintenant à 1000 Fcfa ou plus contre 600 Fcfa auparavant », se lamente Lalla Diallo, revendeuse de peaux depuis plus de trois ans.
Les revendeurs se tournent très souvent vers les villageois qui vendent les peaux moins cher, mais qui ne peuvent pas en assurer une fourniture régulière. « C’est dommage que les gens de la brousse ne puissent approvisionner en permanence le marché, car c’est eux qui nous arrangent. On leur achète les peaux « brutes » à 600 Fcfa ou 1000 Fcfa en fonction de la taille de la pièce. Il suffit juste de les tremper dans de la potasse pour les revendre ensuite aux artisans souvent jusqu’à 1 500 Fcfa ou 2 000 Fcfa ou même 3 500 Fcfa en proportion de la taille. Malheureusement pendant la saison froide on ne voit presque pas les paysans », explique Lalla.
LE « MADE IN MALI » N’EST PAS DONNÉ. Victimes en aval de ces fluctuations sur le prix de la peau les artisans ne savent plus à quel saint se vouer. Dans le temps, ils pouvaient répercuter l’augmentation du coût d’acquisition de leur matière première sur les prix pratiqués à l’endroit des touristes. Mis depuis que cette clientèle étrangère s’est faite rare, puis inexistante, le problème de l’écoulement a viré du casse-tête à la catastrophe. « S’il faut acheter la peau à 3 000 Fcfa ou 3 500 Fcfa pour ensuite la travailler afin de produire des articles et enfin proposer le produit fini à un juste prix aux consommateurs locaux, c’est compliqué. Car la somme que nous sommes obligés de fixer pour rentrer dans nos frais est au-dessus des moyens de nos compatriotes. Que faire ? L’achat par les touristes ne marche pas bien depuis 2012. Le coup d’Etat et la maladie à virus Ebola sont venus empirer la situation », indique Yacouba Diarra. Pour cet artisan, le marché est atone et les autorités doivent appuyer les artisans comme le fait, selon lui, le gouvernement sénégalais.
Attirer les Maliens à soi, les persuader de consommer ou de porter local, le défi est de taille pour les artisans. Enseignant au second cycle, Issiaka Kouma est un habitué de l’atelier des sculptures. Lorsque nous l’y avons rencontré, il était venu se procurer un collier traditionnel pour l’une de ses connaissances. Il admet sans discuter que le « Made in Mali » n’est pas donné et que cela est d’autant moins explicable que la matière première est de chez nous. Le seul argument de vente qui pourrait s’avérer recevable pour les consommateurs locaux, serait la qualité supérieure et la longévité du produit malien. Notre interlocuteur prend l’exemple des colliers. Ceux importés de Chine coûtent entre 3000 et 5000 Fcfa. Mais ils se déteignent rapidement. Cette déperdition de couleurs ne se constate pas au niveau de produits similaires fabriqués au Mali, mais il faut payer pour cette qualité supérieure un prix qui oscille entre 10.000 et 20.000 Fcfa.
De quelque côté que l’on se tourne, on en revient au prix de la matière première. Lalla, Yacouba, Galo Gakou, respectivement revendeuse de peaux, artisan et apprenti artisan sont convaincus que les grandes industries de tannerie sont à l’origine de leurs difficultés. Ces entreprises exportent le cuir tanné au profit des grandes entreprises internationales de transformation. Ces allégations sont acceptées avec placidité par Souleymane Sidibé, administrateur à l’Industrie malienne de tannerie (IMAT). L’usine est l’héritière de l’ex Tannerie de l’Afrique de l’ouest (TAO). Elle a été créée en 1994 par une société espagnole, Coordorera. Sa capacité installée est de 10 000 peaux par jour. Ce dernier chiffre est utilisé comme argument imparable par Sidibé. « Si nous devons vendre notre cuir tanné au Mali, s’enquiert-il, nous le céderions à qui ? Il n’y a pas ici d’usine de transformation. Nous ne pourrions même pas écouler 1% de nos produits. Nous sommes donc obligés d’exporter en Italie (principal partenaire), en Palestine, en Chine, en Inde, en Espagne où la capacité de transformation est énorme».
Les entreprises nationales spécialisées dans l’exportation de peaux font pour la plupart juste la première étape de traitement de celles-ci, étape dénommée le « wet blue » (traitement de la peau à l’état humide). Les deux étapes suivantes, à savoir le « crust » (croûte qui consiste à ramollir le cuir et à le teindre) et la finition, sont assurées à l’extérieur.
UNE PROFUSION DE COXEURS. « Nous sommes accusés à tort par les revendeurs. Nous vendons à des intermédiaires les peaux non exportables. Ceux-ci ajoutent à leur tour leur marge. La peau de chèvre leur est vendue aujourd’hui à 600 F et celle de mouton à 1 000 F. Mais je vais vous dire, c’est difficile partout, c’est l’économie mondiale elle-même qui va mal », poursuit Souleymane Sidibé. Avant de conclure que son entreprise fait entrer des devises au Mali et le gouvernement en est conscient. « L’Etat nous aide beaucoup. Depuis 2010, nous bénéficions d’une exonération sur les produits chimiques pour l’export sur une durée de 30 ans », confie-t-il.
Une chose est certaine, c’est la matière première qui manque le moins dans notre pays. Selon une étude réalisée par la Direction nationale des productions et des industries animales (DNPIA) réalisée en 2009, avec plus de 8,6 millions de bovins, 15 millions de caprins et 11 millions d’ovins, le Mali est le plus grand pays d’élevage de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) et le deuxième de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) après le Nigeria.
Une faible quantité de peaux est exportée brute vers certains pays de la sous-région pour consommation au profit des pays émergents. Pour le premier trimestre de l’année 2010, 2.616.000 pièces de peaux ovines et caprines ont été tannées en « wet blue » et entièrement exportées vers la Chine, l’Espagne et l’Italie. Ce qui a procuré, à notre pays, plus de 2 milliards de FCFA, confirme l’étude.
En 2009, la production contrôlée de cuirs et peaux était de 273.174 cuirs bovins et 747.611 peaux ovines et caprines. Ces chiffres ne prennent pas en compte les productions provenant des abattages rituels (fêtes de Ramadan, de Tabaski, baptêmes, etc.). Il est à noter, qu’en plus de la production nationale, les tanneries sont ravitaillées à partir des peaux provenant des pays voisins (Mauritanie, Guinée, Burkina faso).
Aujourd’hui, et pour en revenir à un niveau plus prosaïque, la question qui se pose est de savoir si le métier d’intermédiaires entre industries de vente de peaux et artisans a sa raison d’être. Dans la mesure où il contribue à la cherté des produits de tannerie. Mais c’est là une question qui se pose au niveau d’autres activités dérivant de l’élevage. Ainsi le commerce de la viande est littéralement vicié par une profusion de coxeurs qui s’enrichissent de manière éhontée alors qu’ils ne possèdent pas la première corne du bœuf qu’ils proposent à l’abattage

Alhoudourou A. MAÏGA

source : L Essor

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