A 73 ans, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta est « probablement le seul chef d’État au monde à encore utiliser l’imparfait du subjonctif dans ses discours », s’amuse un diplomate à Bamako. Mais ce bon vivant s’est aussi forgé une réputation d’homme à poigne.

De sa fréquentation de prestigieux établissements français dans sa jeunesse, ce natif de Koutiala (sud), près de la frontière burkinabè, aura gardé non seulement un phrasé châtié, mais aussi une conception toute jacobine du pouvoir.

« Il est pour un pouvoir fort, centralisé, c’est sûr », déclare son ancien compagnon de route Boubacar Bah.

En cinq ans de mandat, cet homme décrit à la fois comme généreux, colérique et clivant, désigné par beaucoup de ses compatriotes comme « IBK », ses initiales, aura usé cinq Premiers ministres.

Parmi ses 23 concurrents au premier tour de la présidentielle dimanche figurent bon nombre de ses anciens ministres, ce qui dénote son caractère « difficile », selon l’un d’eux, Mountaga Tall.

« J’ai connu IBK dans l’opposition. Je fais partie de ceux qui l’ont soutenu politiquement aux moments difficiles. Mais je ne savais pas qu’en devenant son ministre, nos rapports allaient changer », confie M. Tall à l’AFP.

Ses détracteurs, qui lui reprochent son goût des voyages et des honneurs, l’accusent surtout de ne pas avoir démontré la même fermeté pour sortir le Mali de la crise, malgré sa victoire écrasante au second tour en 2013.

« Il a été élu avec 77,6% des suffrages exprimés, mais il n’a pas pu régler les problèmes essentiels du pays: le retour à la paix et la question de l’insécurité », affirme Abdoulaye Cissé, un soutien de l’ancien Premier ministre et candidat Modibo Sidibé.

L’intéressé balaye les critiques, qualifiées d’ »IBK-bashing » et se dépeint comme un président qui « vit en symbiose avec son peuple, sait son peuple, travaille à faire avancer son peuple », citant notamment l’accord de paix de mai-juin 2015 conclu avec l’ex-rébellion à dominante touareg, malgré les retards enregistrés dans son application.

« Je me sens en forme parfaite et je crois que cela a surpris. Beaucoup m’eussent souhaité dans le fond d’une chambre, reclus », a-t-il dit cette semaine au retour d’une tournée électorale auprès des diasporas maliennes de trois pays d’Afrique, en allusion aux rumeurs récurrentes sur son état de santé.

– Ascension fulgurante –

Après des études littéraires dans son pays, au Sénégal et en France, Ibrahim Boubacar Keïta devient dans les années 1980 conseiller du Fonds européen de développement (FED), puis chef d’un projet de développement dans le nord du Mali.

Après avoir milité contre le général Moussa Traoré, renversé en mars 1991 par un coup d’État militaire, il connaît une ascension fulgurante sous Alpha Oumar Konaré, premier président (1992-2002) de l’ère démocratique du Mali.

Premier ministre de 1994 à 2000, M. Keïta, qui se réclame de la gauche, mate sans états d’âme une crise scolaire et des grèves qui paralysent le Mali, et ferraille contre l’opposition. De cette période il gardera une image de fermeté qui fera son succès en 2013.

A la suite d’une brouille avec Alpha Oumar Konaré et le parti au pouvoir, il se présente à l’élection présidentielle de 2002 sous les couleurs de sa propre formation, le Rassemblement pour le Mali (RPM), mais n’arrive qu’en troisième position.

Amadou Toumani Touré, dit « ATT » un militaire qui a pris sa retraite de l’armée, l’emporte au second tour et se fait réélire dès le premier tour en 2007, devant « IBK ».

En mars 2012, « ATT » est renversé par des militaires qui l’accusaient d’incurie face à la rébellion dans le nord du pays, un putsch qui précipite la déroute de l’armée et la prise de contrôle de cette région par des groupes jihadistes, alliés un temps aux rebelles avant de les supplanter.

A l’élection présidentielle de 2013, après l’intervention internationale lancée à l’initiative de la France contre les jihadistes, Ibrahim Boubacar Keïta, considéré comme un recours, tient sa revanche.

Cinq ans plus tard, le président sortant fait campagne « non seulement sur son bilan, mais aussi sur l’avenir », souligne le sociologue Oumar Samaké.

Dans sa déclaration de candidature en mai, il s’est engagé à relever le triple défi « de la restauration de la paix, de la reconquête de l’unité et de la réussite de la réconciliation nationale », promettant sur ce dernier point « des décisions courageuses et novatrices ».